Τηλεμάχεια


Tēlemacheia





Cette exposition se veut une relecture hommage de l’oeuvre de mon père, Michel Boisvert. L’objectif de ce projet n’a pas été de faire une rétrospective par trop systématique et passéiste, car c’est une pulsion de vie qui a animé ma démarche. Je me suis posé en tant que fils qui s’interroge sur son héritage et qui cherche à le comprendre, le transformer et le transmettre. Ce sont ici les premières esquisses d’une enquête portant sur un corpus trop vaste et diversifié pour être aisément cerné qui vous sont présentées. Une unité éclectique a été tentée dans la réunion d’archives, de photographies et de sculptures. Si la présentation des oeuvres cherche à représenter l’aspect brut de son approche, la sélection a été guidée par la volonté d’exposer l’aspect à la fois tragique et lumineux de son univers.

Mon travail s’est donc partagé entre la recherche et l’expérimentation. D’une part donner vie à des archives élimées et d’autre part faire du nouveau pour entrer en relation et créer du sens. Oeuvrer à une relecture de certaines oeuvres de mon père à travers l’image photographique tout en me confrontant à la matière pour faire surgir des formes nouvelles et les offrir en support à ses créations. Tirées de mes fouilles dans ses archives sont des oeuvres qui sont présentées tel quel, rongées par le temps, mais dont le potentiel signifiant est ainsi décuplé. Afin de ne pas rester prisonnier de la virtualité de l’image j’ai tenté une incursion dans l’espace sculptural qui est celui de mon père, toujours en cherchant à y faire surgir ma voix propre.  


Ulysse est allé écumer les frontières du monde connu, affronter au loin les mystères parfois meurtriers qui peuplent ces franges. Tout au long de son périple, il fut à la merci des dieux, qui en alternance le sauvent et l’assaillent.

Télémaque a sillonné les mers à sa recherche, tant pour le retrouver que pour apprendre à le connaître. La question qui l’anime pourrait se résumer ainsi : À quoi reconnait-on qu’on est le fils de son père, outre le nom? Interpolée dans l’Odyssée, la Télémachie est le récit du voyage d’un fils vers son père.


Michel Boisvert : https://www.jam.quebec/


Anatomie du monument
Pour une statuaire du déclin



Le présent comme seul horizon




Ce projet cherche à exploiter le potentiel métaphorique de l’installation. Comme il représente un écart considérable par rapport à la pratique artistique dans laquelle il s’inscrit, il pose peut-être davantage d’interrogations qu’il n’en résout. À l’origine du projet s’inscrit la volonté de traiter de la notion d’occupation (intégrale) de l’espace, de la transformation d’un lieu donné et de l’expérience que peut en faire le visiteur. L’interrogation de base était à savoir comment évoquer une idée par la création d’un lieu.

La tentative de réponse que représente ce projet procède par translation, par transplantation. Un lieu s’est déplacé dans un autre, découpé par l’espace de ce dernier qui devient en quelque sorte un réceptacle. Ainsi, une sorte de jardin minimal se retrouve dans une salle d’exposition et en recouvre toute la surface. Le pari étant de faire en sorte que ce déplacement, ce croisement d’un lieu dans un autre puissent générer du sens, bien que libre et mobile. Ainsi, on pourrait dire que ce projet est un espace métaphorique. La métaphore est un déplacement ; le déplacement de la signification première des mots par leur recombination pour générer un sens, sinon nouveau, du moins autre. Ce projet est donc une métaphore qui, plutôt que d’utiliser des mots, utilise la matière et l’espace. Le sens de la métaphore qui est à l’origine de l’idée de ce projet concerne le temps, ainsi que notre rapport à ce dernier. C’est en quelque sorte une incarnation du présentisme tel que théorisé par l’historien François Hartog. Cette relation à un temps rompu, où l’on s’est débarrassé du passé et de l’avenir, pour ne vivre que dans un présent perpétuel. La poursuite du temps s’est figée et nous sommes maintenant prisonniers de la minceur du présent. Il est intéressant de mentionner cette idée, mais sans toutefois insister, car le projet que proposé est trop vague pour y associer un discours précis. D’ailleurs, le seul indice clair menant à cette interprétation de la métaphore se trouve dans le titre du projet.

Construction artificielle faite de matériaux naturels, ce paysage installatif est aussi simulacre. Il est d’ailleurs agencé en une composition assez graphique, ce dont on s’aperçoit mieux lorsqu’on l’observe en surplomb (investissant une pièce du sous-sol, l’installation est visible à partir du rez-de-chaussée du local d’exposition, ainsi que du puit de lumière qui donne sur le trotoir à l’extérieur). Le présent comme seul horizon est une proposition artistique qui oscille donc entre installation et représentation, ce jardin est une image (vivante) dans laquelle on peut pénétrer. Le croisement de ces deux régimes cherche à mettre l’accent sur l’aspect symbolique du lieu et de ses composantes. Il y a cependant une certaine ambivalence à savoir si on observe la réplique d’un lieu existant ou bien un lieu générique, inventé. Comme si le choix n’était pas marqué entre métaphore et reconstitution historique. En outre, cette hésitation contribue peut-être à présenter ce projet comme une énigme, pas tant dans son contenu que dans sa nature. On se demande non seulement que signifie ce que je regarde? mais aussi qu’est-ce que je regarde? On peut établir une certaine familiarité formelle avec les travaux de la Boyle Family présentant des moulages de différents sols sous forme de tableaux. Cependant l’intention motivant leurs travaux est à l’inverse du projet ici présenté. Les membres de ce collectif cherchent à rompre le lien entre les mythes, les oeuvres du passé, entre la culture donc, et les fragments de lieux qu’ils présentent. Comme si pour avoir un regard neuf il fallait en retirer les référents culturels, en somme le déshumaniser... Aussi, leurs travaux se situent clairement dans le domaine de la re-création puisqu’ils sont créés à partir de lieux existants. Du fait de la nature installative, le projet qui nous concerne actuellement partage peut-être plus de points communs avec l’oeuvre Riverbed d’Olafur Eliasson ou encore davantage avec A forest of lines de Pierre Huyghe. La notion de transformation, voire de création d’un lieu est au centre de ces projets artistiques. Leurs interventions correspondent respectivement à la re-création du lit rocailleux d’une rivière dans un espace de galerie et à la création d’une jungle dans l’opéra de Sydney.

À l’instar de ces deux oeuvres, Le présent comme seul horizon cherche à proposer une expérience au visiteur qui peut se déplacer librement dans l’installation. Part de cette expérience est olfactive, car l’herbe humide embaume l’espace d’exposition. Le lien très particulier qu’entretient le sens de l’odorat avec la mémoire est sollicité pour contredire le concept de présentisme cité plus haut. Les odeurs sont reconnues pour faire émerger des souvenirs involontaires, qui à leur tour contredisent l’idée d’un présent perpétuel habitable. Le temps est un continuum dont les horizons se croisent constamment. Avant que la science n’établisse de lien entre mémoire et odorat, Marcel Proust s’intéressait à cette problématique avec toute la force de son intuition. « Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »

Trois essais sur le temps et le récit




7h21m, 600km.

Mon intention première était de reconstituer un récit familial qui ne s’est pas rendu jusqu’à moi. C’est ce sur quoi j’ai travaillé durant la session. Mes parents m’ont fait comprendre que mon arrière-grand-père a joué un rôle d’une certaine importance dans le développement de Rouyn-Noranda. Ceci m’a révélé mon ignorance vis-à-vis mon histoire familiale. J’ai donc voulu faire une recherche documentaire tout en documentant cette recherche. Pour que la quête de récit devienne aussi récit.

Mes recherches m’ont amené à me rendre en Abitibi et j’ai eu cette idée de capter, d’enregistrer le trajet lui-même. Je voyais dans ce projet une tentative de faire récit, mais dans une forme réduite à l’extrême. Le récit de mon voyage, remontant ma trame familiale, où tout est inscrit, mais où plus rien n’est distinguable. Un récit qui rend compte d’un itinéraire dans le temps et l’espace, mais comprimé dans la minceur d’une impression photographique. Il m’est apparu alors que cette image se trouverait à être ce qu’on pourrait appeler un récit synthétique où tout est compris, le début et la fin, le départ et l’arrivée ainsi que tout ce que j’ai vu et vécu entre les deux. Dans cet écrasement temporel pourtant, la fonction du récit de construction de sens et de transmission est rendue presque inopérante, écrasée dans l’image unique. De cette idée du récit qui n’arrive pas à se faire, qui n’arrive pas à se dire, ont découlé les deux autres oeuvres. Ainsi, peut-être en suis-je arrivé à traiter, un peu indirectement, du défaut de transmission que je trouve représentatif de la société québécoise moderne et qui me préoccupe tant.

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Quelque chose est presque raconté, mais figé dans l’insignifiance, comme arrêté en chemin. Ce récit qui n’est pas arrivé à se faire, dont il ne reste que cette trace sous forme de document, cherche par son aspect fragmentaire et usé à générer la curiosité du public. Curiosité nécessaire pour que le spectateur se transforme en lecteur devant un projet d’arts visuels qui se veut récit en attente. L’aspect ancien et abîmé attribue le statut d’archive à ce qui est en fait un test de mise en page. Ainsi, j’ai cherché à suggérer le récit qui prendrait la place du texte de remplissage. Un récit à venir qui n’est finalement jamais venu puisque c’est cet état intermédiaire qui est encadré et conservé.

Voiage de Jacques Cartier

Après avoir tenté de s’incarner dans les images, le récit s’incarne dans l’objet. Un bloc composé de caractères typographiques et qui restitue les premières pages du journal de voyage de Jacques Cartier. Le récit s’y trouve sous forme de potentiel, de latence, puisque présenté enfermé dans sa matrice. Dans l’absence du texte imprimé, le récit reste difficilement accessible. J’ai aussi voulu présenter ce récit dans une forme qui rappelle la ruine pour suggérer la disparition des traces du passé, tant que celui-ci n’est pas revisité, réactivé, réactualisé.


Le carnet du synesthète




Ce projet est inspiré d’un rêve que j’ai fait il y a plusieurs années. J’étais un personnage à la recherche de son père qu’il n’a jamais connu et qu’il ne connaîtra finalement qu’à travers les traces que celui-ci laissa derrière lui. Comme si, au fil de son enquête, la présence de son père se constituait par addition, par agglomération d’indices, de traces, de témoignages, à travers son œuvre musicale aussi. Ainsi, dans ce rêve, le personnage que j’étais ne trouve pas son père, mais rencontre son héritage. Cela représente un peu ma motivation en tant qu’artiste- chercheur; interroger, relire, petit à petit, nos héritages. Travailler à une conscience historique pour prendre connaissance de ceux-ci et les porter autrement que comme des boulets. On ne comprend que ce qui est déjà passé, alors il est impératif d’avoir un rapport sain à notre propre histoire.

Ce projet est une fiction historique où, à travers un récit particulier, je cherche à attirer l’attention sur une période de l’histoire du Québec. C’est une tentative de faire ce que je nomme une interpolation commémorative. En littérature, l’interpolation consiste en « l’insertion dans un texte d’un passage qui n’est pas de l’auteur ». Ainsi, mon travail créatif tente de s’insérer dans l’histoire du Québec et du fait même, je ne peux pas vraiment m’en revendiquer en tant qu’auteur. Ce qui n’est pas dramatique puisque ma volonté est de me joindre à quelque chose qui me dépasse.

En tant qu’interpolation, c’est donc un projet que j’ai tenté de situer à mi-chemin entre la fiction et la réalité. Les personnages, les événements, les lieux sont réels, bien que parfois agencés de façon inauthentique. Les documents présentés eux sont carrément fictifs, car construits ou détournés. Les seuls liens qu’ils ont avec les personnages et contextes décrits sont ceux qu’on leur invente. Cherchant à exploiter le potentiel narratif des objets et des images, c’est donc un projet qui se lit, dans le sens de lire, mais aussi dans le sens de lier. Il se lit comme un récit en tentant d’établir des liens entre les documents présentés. Il n’y a d’ailleurs pas de cartels explicatifs, ceci pour laisser le travail de lecture et tout le pouvoir créatif dont il recèle entre les mains du spectateur/lecteur. L’absence de cartels représente cependant pour moi un défi, car les documents doivent porter en eux une signification suffisamment riche et claire pour que le récit se constitue, pour que la narrativité soit opérante. Présentés sous forme d’archives, plutôt que dans un dispositif muséal, les documents se retrouvent aussi entre les mains du public pour l’encourager à participer à l’enquête. Pour susciter une curiosité et peut-être aussi pour suggérer une nécessaire reconnexion à sa propre histoire.

Pour comprendre l’histoire, il faut que celle-ci soit mise en récit, et dans ce dernier, la fiction participe autant que la réalité. Ainsi, que les documents présentés soient faux ou véridiques ils constituent néanmoins des incarnations historiques. En tant que telles, ces incarnations cherchent à provoquer un impact juste, car bien que fictives, ils demeurent rattachés à un fond de mémoire, d’histoire, qui lui, est réel.