Le vol des astres
Ce projet est constitué d’une série de 6 photographies sur plaque de verre, réalisées à l’aide du procédé du collodion humide. Elles sont disposées dans un présentoir vitré qui rappelle un dispositif muséal. Ces images qui représentent des objets célestes ou des paysages nocturnes sont liées par une mise en situation narrative. Celle-ci prend forme par un texte de présentation ainsi que par les notices associées à chaque image. Cette portion textuelle du projet ancre les images dans un contexte sociohistorique bien particulier, celui du milieu de l’astronomie dans le Québec (Bas-Canada) de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce récit se fonde sur des personnages ayant réellement existé et des événements qui se sont vraiment déroulés. Les photographies réalisées à l’aide d’un procédé ancien se présentent comme des documents historiques rendant compte d’un événement obscur de l’histoire de l’astronomie au Québec. Cet événement est fictif, mais tente de se revêtir d’une certaine crédibilité en s’entourant de détails véridiques. Ce projet constitue donc une tentative d’interpolation du réel; il ouvre les pages de l’histoire et s’y insère, preuves à l’appui. Les documents photographiques sont cependant des faux. Les images fixées dans le collodion ont été d’abord composées artificiellement dans After Effects et/ou Photoshop. Ce projet tente de contribuer ainsi à différentes réflexions; sur la notion du document photographique, du récit, de la temporalité, de l’histoire, de la trace, de la mémoire... Est-ce qu’un passé fictif peut laisser des traces réelles? Est-ce que la véracité est une notion pertinente en ce qui concerne la mémoire, processus créatif s’il en est un?
Mise en contexte du projet :
En 1893, Edward David Ashe mourut. Il avait été le directeur de l’observatoire de Québec pendant 33 ans. Philéas Roy, appuyé par Camille Flammarion (créateur de la Société Astronomique de France), postula pour lui succéder. Son dossier ne fut cependant jamais considéré et on nomma à la direction un autre britannique, Arthur Smith. La famille Ashe avait usé de son veto. Pourquoi a-t-on tout simplement ignoré la candidature de Philéas Roy, malgré ses compétences multiples de photographe et
d’astronome respecté? Les documents ici présentés seront peut-être à même de confirmer le fait ignoré que Ashe et Roy se connaissaient de longue date et qu’une rancoeur sans limites les opposait. Une certaine théorie veut que Roy ait été derrière nombre de découvertes astronomiques revendiquées par Ashe.
Les photographies maintenant présentées ont été réalisées à l’aide de la technique du collodion humide, un procédé où la plaque de verre doit être préparée, exposée et développée à l’intérieur d’une dizaine de minutes. Ces documents sont tirés de la collection privée de l’héritage de Philéas Roy. Ce sont à l’identique les photos documentant le voyage au Cap Chidley, Labrador, du lieutenant Ashe. Comme le collodion est un procédé qui produit des images positives uniques sur plaque de verre, les doubles ont obligatoirement dû être faits au moment de la prise de vue. Selon le journal de bord que tenait Philéas Roy, il aurait pris ces photographies durant le voyage au Labrador, où il avait réussi à se faire engager comme assistant du lieutenant Ashe. Se doutant que ce dernier chercherait à s’emparer de ses images qui corroboraient ses théories, Roy avait eu la présence d’esprit de faire des doubles pour chaque prise de vue. Il les cacha sous une pierre à proximité de leur campement, au pied des monts Torngat. Ashe réquisitionna effectivement les clichés originaux de Roy et lui fit jurer sur son honneur de ne jamais les revendiquer, sous peine de faire exproprier et ruiner sa famille, déjà sur le déclin. Il conserva donc ses doubles, mais Philéas Roy ne revendiqua jamais la paternité de ces découvertes qui eurent un grand impact sur l’astronomie de l’époque, ainsi qu’un rayonnement international.