Trois essais sur le temps et le récit




7h21m, 600km.

Mon intention première était de reconstituer un récit familial qui ne s’est pas rendu jusqu’à moi. C’est ce sur quoi j’ai travaillé durant la session. Mes parents m’ont fait comprendre que mon arrière-grand-père a joué un rôle d’une certaine importance dans le développement de Rouyn-Noranda. Ceci m’a révélé mon ignorance vis-à-vis mon histoire familiale. J’ai donc voulu faire une recherche documentaire tout en documentant cette recherche. Pour que la quête de récit devienne aussi récit.

Mes recherches m’ont amené à me rendre en Abitibi et j’ai eu cette idée de capter, d’enregistrer le trajet lui-même. Je voyais dans ce projet une tentative de faire récit, mais dans une forme réduite à l’extrême. Le récit de mon voyage, remontant ma trame familiale, où tout est inscrit, mais où plus rien n’est distinguable. Un récit qui rend compte d’un itinéraire dans le temps et l’espace, mais comprimé dans la minceur d’une impression photographique. Il m’est apparu alors que cette image se trouverait à être ce qu’on pourrait appeler un récit synthétique où tout est compris, le début et la fin, le départ et l’arrivée ainsi que tout ce que j’ai vu et vécu entre les deux. Dans cet écrasement temporel pourtant, la fonction du récit de construction de sens et de transmission est rendue presque inopérante, écrasée dans l’image unique. De cette idée du récit qui n’arrive pas à se faire, qui n’arrive pas à se dire, ont découlé les deux autres oeuvres. Ainsi, peut-être en suis-je arrivé à traiter, un peu indirectement, du défaut de transmission que je trouve représentatif de la société québécoise moderne et qui me préoccupe tant.

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Quelque chose est presque raconté, mais figé dans l’insignifiance, comme arrêté en chemin. Ce récit qui n’est pas arrivé à se faire, dont il ne reste que cette trace sous forme de document, cherche par son aspect fragmentaire et usé à générer la curiosité du public. Curiosité nécessaire pour que le spectateur se transforme en lecteur devant un projet d’arts visuels qui se veut récit en attente. L’aspect ancien et abîmé attribue le statut d’archive à ce qui est en fait un test de mise en page. Ainsi, j’ai cherché à suggérer le récit qui prendrait la place du texte de remplissage. Un récit à venir qui n’est finalement jamais venu puisque c’est cet état intermédiaire qui est encadré et conservé.

Voiage de Jacques Cartier

Après avoir tenté de s’incarner dans les images, le récit s’incarne dans l’objet. Un bloc composé de caractères typographiques et qui restitue les premières pages du journal de voyage de Jacques Cartier. Le récit s’y trouve sous forme de potentiel, de latence, puisque présenté enfermé dans sa matrice. Dans l’absence du texte imprimé, le récit reste difficilement accessible. J’ai aussi voulu présenter ce récit dans une forme qui rappelle la ruine pour suggérer la disparition des traces du passé, tant que celui-ci n’est pas revisité, réactivé, réactualisé.