Le carnet du synesthète




Ce projet est inspiré d’un rêve que j’ai fait il y a plusieurs années. J’étais un personnage à la recherche de son père qu’il n’a jamais connu et qu’il ne connaîtra finalement qu’à travers les traces que celui-ci laissa derrière lui. Comme si, au fil de son enquête, la présence de son père se constituait par addition, par agglomération d’indices, de traces, de témoignages, à travers son œuvre musicale aussi. Ainsi, dans ce rêve, le personnage que j’étais ne trouve pas son père, mais rencontre son héritage. Cela représente un peu ma motivation en tant qu’artiste- chercheur; interroger, relire, petit à petit, nos héritages. Travailler à une conscience historique pour prendre connaissance de ceux-ci et les porter autrement que comme des boulets. On ne comprend que ce qui est déjà passé, alors il est impératif d’avoir un rapport sain à notre propre histoire.

Ce projet est une fiction historique où, à travers un récit particulier, je cherche à attirer l’attention sur une période de l’histoire du Québec. C’est une tentative de faire ce que je nomme une interpolation commémorative. En littérature, l’interpolation consiste en « l’insertion dans un texte d’un passage qui n’est pas de l’auteur ». Ainsi, mon travail créatif tente de s’insérer dans l’histoire du Québec et du fait même, je ne peux pas vraiment m’en revendiquer en tant qu’auteur. Ce qui n’est pas dramatique puisque ma volonté est de me joindre à quelque chose qui me dépasse.

En tant qu’interpolation, c’est donc un projet que j’ai tenté de situer à mi-chemin entre la fiction et la réalité. Les personnages, les événements, les lieux sont réels, bien que parfois agencés de façon inauthentique. Les documents présentés eux sont carrément fictifs, car construits ou détournés. Les seuls liens qu’ils ont avec les personnages et contextes décrits sont ceux qu’on leur invente. Cherchant à exploiter le potentiel narratif des objets et des images, c’est donc un projet qui se lit, dans le sens de lire, mais aussi dans le sens de lier. Il se lit comme un récit en tentant d’établir des liens entre les documents présentés. Il n’y a d’ailleurs pas de cartels explicatifs, ceci pour laisser le travail de lecture et tout le pouvoir créatif dont il recèle entre les mains du spectateur/lecteur. L’absence de cartels représente cependant pour moi un défi, car les documents doivent porter en eux une signification suffisamment riche et claire pour que le récit se constitue, pour que la narrativité soit opérante. Présentés sous forme d’archives, plutôt que dans un dispositif muséal, les documents se retrouvent aussi entre les mains du public pour l’encourager à participer à l’enquête. Pour susciter une curiosité et peut-être aussi pour suggérer une nécessaire reconnexion à sa propre histoire.

Pour comprendre l’histoire, il faut que celle-ci soit mise en récit, et dans ce dernier, la fiction participe autant que la réalité. Ainsi, que les documents présentés soient faux ou véridiques ils constituent néanmoins des incarnations historiques. En tant que telles, ces incarnations cherchent à provoquer un impact juste, car bien que fictives, ils demeurent rattachés à un fond de mémoire, d’histoire, qui lui, est réel.