Le présent comme seul horizon




Ce projet cherche à exploiter le potentiel métaphorique de l’installation. Comme il représente un écart considérable par rapport à la pratique artistique dans laquelle il s’inscrit, il pose peut-être davantage d’interrogations qu’il n’en résout. À l’origine du projet s’inscrit la volonté de traiter de la notion d’occupation (intégrale) de l’espace, de la transformation d’un lieu donné et de l’expérience que peut en faire le visiteur. L’interrogation de base était à savoir comment évoquer une idée par la création d’un lieu.

La tentative de réponse que représente ce projet procède par translation, par transplantation. Un lieu s’est déplacé dans un autre, découpé par l’espace de ce dernier qui devient en quelque sorte un réceptacle. Ainsi, une sorte de jardin minimal se retrouve dans une salle d’exposition et en recouvre toute la surface. Le pari étant de faire en sorte que ce déplacement, ce croisement d’un lieu dans un autre puissent générer du sens, bien que libre et mobile. Ainsi, on pourrait dire que ce projet est un espace métaphorique. La métaphore est un déplacement ; le déplacement de la signification première des mots par leur recombination pour générer un sens, sinon nouveau, du moins autre. Ce projet est donc une métaphore qui, plutôt que d’utiliser des mots, utilise la matière et l’espace. Le sens de la métaphore qui est à l’origine de l’idée de ce projet concerne le temps, ainsi que notre rapport à ce dernier. C’est en quelque sorte une incarnation du présentisme tel que théorisé par l’historien François Hartog. Cette relation à un temps rompu, où l’on s’est débarrassé du passé et de l’avenir, pour ne vivre que dans un présent perpétuel. La poursuite du temps s’est figée et nous sommes maintenant prisonniers de la minceur du présent. Il est intéressant de mentionner cette idée, mais sans toutefois insister, car le projet que proposé est trop vague pour y associer un discours précis. D’ailleurs, le seul indice clair menant à cette interprétation de la métaphore se trouve dans le titre du projet.

Construction artificielle faite de matériaux naturels, ce paysage installatif est aussi simulacre. Il est d’ailleurs agencé en une composition assez graphique, ce dont on s’aperçoit mieux lorsqu’on l’observe en surplomb (investissant une pièce du sous-sol, l’installation est visible à partir du rez-de-chaussée du local d’exposition, ainsi que du puit de lumière qui donne sur le trotoir à l’extérieur). Le présent comme seul horizon est une proposition artistique qui oscille donc entre installation et représentation, ce jardin est une image (vivante) dans laquelle on peut pénétrer. Le croisement de ces deux régimes cherche à mettre l’accent sur l’aspect symbolique du lieu et de ses composantes. Il y a cependant une certaine ambivalence à savoir si on observe la réplique d’un lieu existant ou bien un lieu générique, inventé. Comme si le choix n’était pas marqué entre métaphore et reconstitution historique. En outre, cette hésitation contribue peut-être à présenter ce projet comme une énigme, pas tant dans son contenu que dans sa nature. On se demande non seulement que signifie ce que je regarde? mais aussi qu’est-ce que je regarde? On peut établir une certaine familiarité formelle avec les travaux de la Boyle Family présentant des moulages de différents sols sous forme de tableaux. Cependant l’intention motivant leurs travaux est à l’inverse du projet ici présenté. Les membres de ce collectif cherchent à rompre le lien entre les mythes, les oeuvres du passé, entre la culture donc, et les fragments de lieux qu’ils présentent. Comme si pour avoir un regard neuf il fallait en retirer les référents culturels, en somme le déshumaniser... Aussi, leurs travaux se situent clairement dans le domaine de la re-création puisqu’ils sont créés à partir de lieux existants. Du fait de la nature installative, le projet qui nous concerne actuellement partage peut-être plus de points communs avec l’oeuvre Riverbed d’Olafur Eliasson ou encore davantage avec A forest of lines de Pierre Huyghe. La notion de transformation, voire de création d’un lieu est au centre de ces projets artistiques. Leurs interventions correspondent respectivement à la re-création du lit rocailleux d’une rivière dans un espace de galerie et à la création d’une jungle dans l’opéra de Sydney.

À l’instar de ces deux oeuvres, Le présent comme seul horizon cherche à proposer une expérience au visiteur qui peut se déplacer librement dans l’installation. Part de cette expérience est olfactive, car l’herbe humide embaume l’espace d’exposition. Le lien très particulier qu’entretient le sens de l’odorat avec la mémoire est sollicité pour contredire le concept de présentisme cité plus haut. Les odeurs sont reconnues pour faire émerger des souvenirs involontaires, qui à leur tour contredisent l’idée d’un présent perpétuel habitable. Le temps est un continuum dont les horizons se croisent constamment. Avant que la science n’établisse de lien entre mémoire et odorat, Marcel Proust s’intéressait à cette problématique avec toute la force de son intuition. « Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »